Alors que le climat politique se tend, en Côte d’Ivoire, pouvoir et opposition doivent retrouver le moyen de dialoguer, au risque que des violences n’éclatent. C’est la crainte d’Arsène Brice Bado, du Centre de recherche et d’action pour la Paix (CERAP), qui préconise un report du scrutin.
Publié par Jeune Afrique le 21 septembre 2020.
Des policiers détiennent un manifestant pendant une manifestation le 13 août contre la décision d'Alassane Ouattara [Luc Gnago / Reuters]
À 40 jours de l’élection présidentielle du 31 octobre prochain, la situation politique semble s’orienter chaque jour un peu plus dans une impasse. Dimanche, les principales plateformes de l’opposition réunies au sein d’un front commun ont même appelé à la « désobéissance civile » et lancent des appels à manifester contre la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat. Or, les manifestations sont interdites dans le pays, faisant craindre l’irruption de violences.
Le chercheur Arsène Brice Bado, directeur adjoint du Centre de recherche et d’action pour la Paix (CERAP), basé à Abidjan, est notamment l’auteur d’un récent rapport sur les efforts de pacification des élections. Pour Jeune Afrique, il livre son analyse de la montée des tensions actuelles, s’inquiète de la radicalisation des positions et plaide pour un report de la date du scrutin, afin de permettre au pouvoir et à l’opposition de renouer le dialogue.
Jeune Afrique : Craignez-vous que la tension politique actuelle ne débouche sur une flambée de violences ?
Arsène Brice Bado :
C’est une situation assez compliquée. Nous sommes sortis de la logique du dialogue et nous sommes entrés dans une logique de confrontation dont il faut sortir.
Une réaction trop brutale des pouvoirs publics ou des forces de l’ordre et de sécurité contre les manifestants entrainera une escalade de la violence, c’est prévisible.
Nous avons déjà vu cela le mois dernier, avec des manifestations contre la candidature de Ouattara à un troisième mandat qui ont fait plusieurs morts. Il faut vraiment gérer ces rassemblements avec beaucoup de tact, au risque que la violence ne s’ajoute à la violence.
L’opposition a posé plusieurs préalables à sa participation au scrutin du 31 octobre, comme la dissolution du Conseil constitutionnel et de la Commission électorale indépendante (CEI), l’audit de la liste électorale ou encore le retour des exilés. Ces demandes vous paraissent-elles réalistes ?
Cela semble difficile, à moins que les différents acteurs politiques trouvent en quelques semaines des compromis viables sur des points importants, tels que la dissolution de la CEI. À mon sens, il faudrait repousser la date des élections.
Bien sûr, cela entrainera des questions juridiques complexes, mais ce serait un moindre mal pour préserver la paix et prendre le temps de rétablir le dialogue entre l’opposition et le pouvoir.
En réalité, pour le moment, les conditions pour une élection pacifique ne sont pas vraiment réunies. Nous sommes face à deux camps qui sont en train de se positionner pour s’affronter. Il faut vraiment renouer le dialogue.
Ce front commun de l’opposition peut-il tenir au-delà de l’élection ?
La politique en Côte d’Ivoire est tellement complexe et mouvante, c’est difficile à dire. Les alliances se font et se défont rapidement. Ce sont des alliances circonstancielles.
Pour durer, il faut forger une vision commune sur un certain nombre de choses. Le problème est que la politique ivoirienne s’articule autour de personnes et non autour d’enjeux de société. Résultat, les conflits entre les personnes se transforment en conflits nationaux. Deux individus peuvent ne pas s’entendre, ce n’est pas pour cela que tout un pays doit en souffrir. La faiblesse est là, nous sommes rivés sur les individus.
Plusieurs partis d’opposition, dont Génération peuple solidaire (GPS) de Guillaume Soro et la frange du Front populaire ivoirien restée fidèle à Laurent Gbagbo, dont les leaders sont actuellement hors du pays, ont-ils les moyens de mobiliser la rue ?
Je pense que tous ont les moyens de mobiliser. Maintenant est-ce que les mobilisations seront structurées, bien planifiées, c’est autre chose. Il peut y avoir plein de gens dans la rue sans que cela n’ait un impact réel. Il faut surtout bien insister sur un point, les mobilisations de rue, actuellement, en cette période, sont dangereuses. La polarisation est tellement grande que cela peut dégénérer très rapidement en affrontements.
Les partis d’opposition n’appellent pas, pour le moment, au boycott de l’élection présidentielle. Quelle serait la conséquence d’un tel appel ?
La politique de la chaise vide n’a jamais vraiment payé. Ce serait un échec du débat. Il faut plutôt réussir à reconstruire des ponts, ouvrir le débat démocratique et aplanir les points qui constituent des pierres d’achoppement entre les différents acteurs de l’élection.
Faut-il craindre une nouvelle crise post-électorale ?
La crainte n’est pas à écarter. Quand on observe la situation politique actuelle, il y a de quoi être inquiet, tout simplement parce que le processus électoral ne fait pas l’objet d’un consensus.
Si je dois donner une image, le pays est comme un bus qui zigzague et tangue sur une piste difficile. Il peut tomber, comme il peut ne pas tomber.
J’ai l’impression que, sur le plan sécuritaire, la Côte d’Ivoire est cependant mieux préparée qu’en 2010. Mais la sécurité ne suffit pas si des milliers ou des millions de personnes descendent dans la rue. Il faut plutôt compter et travailler à ce que les uns et les autres trouvent un compromis et abordent les élections dans un esprit démocratique.
Les différents acteurs politiques devraient se percevoir comme des rivaux et non comme des ennemis. Nous ne sommes pas en guerre. Perdre une élection n’est pas la fin du monde, la gagner n’est pas une panacée.
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