L’essentiel des violences liées à l’élection présidentielle s’est concentré dans le fief de l’ancien président Henri Konan Bédié, où la situation reste instable.
Publié par Le Monde le 06 novembre 2020.
By Cyril Bensimon and Youenn Gourlay
Une dizaine de motos calcinées à Yamoussoukro après des violences, début novembre 2020. (Youenn Gourlay/Le Monde).
Leur attitude est quasi militaire. Une centaine de jeunes hommes, torse nu, certains armés d’un fusil de chasse, s’enfoncent d’un pas discipliné dans la forêt qui borde le bitume. La scène se déroule entre Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, et Tiébissou, dans le centre du pays.
Si les forces de l’ordre ont commencé à opérer des actions pour rétablir la circulation, les routes de la région demeurent dangereuses. Les troncs d’arbres massifs et les feuillages brûlés repoussés sur les bas-côtés rappellent les nombreux barrages qui ont bloqué un temps quelques grands axes du pays et où plusieurs cortèges ministériels se sont retrouvés pris en embuscade. Après la réélection samedi 31 octobre du chef de l’Etat sortant, Alassane Ouattara, les tensions restent vives en Côte d’Ivoire et principalement dans le centre du pays, fief de l’opposition.
Les autorités locales et les chefferies villageoises s’inquiètent de cette milice qui semble s’organiser dans le secret de la brousse. Les forces de l’ordre sillonnent les environs mais le groupe en file indienne s’est évaporé dans les fourrés. L’une des autorités de la région est persuadée qu’il s’agit là des mêmes personnes qui ont tenté de bloquer le scrutin et semé le trouble à Tiébissou, ancienne ville de démarcation entre le nord rebelle et le sud loyaliste durant la guerre civile ivoirienne de 2002 à 2011.
Opposition identitaire
Là-bas, le jour du vote, il y aurait eu quatre morts : « Deux électeurs dioula (les populations du nord majoritairement acquises à Alassane Ouattara), puis deux baoulé (la communauté à laquelle appartient l’ancien président Henri Konan Bédié) en représailles » selon la mairie, et des dizaines de blessés.
Sur fond d’opposition identitaire, les responsables politiques sont devenus des cibles privilégiées. Dans cette ville, un membre du parti au pouvoir - le RHDP - ferait partie des quatre victimes. La maison d’un adjoint au maire a été saccagée, alors que celles d’un député et du conseiller régional ont été en partie incendiées.
Ces derniers jours, plusieurs cortèges de ministres ont été la cible de tirs. « Ils étaient cachés en forêt avec leur calibre 12 et nous ont surpris plusieurs fois alors que nous étions en train de tronçonner les arbres sur la route », explique l’une des personnalités visées par une attaque nocturne qui a fait plusieurs blessés dans sa garde rapprochée.
« C’est une jeunesse désœuvrée, droguée et alcoolisée, payée pour semer le trouble » précise-t-il. Le frère du ministre de l’équipement Amédée Kouakou a, quant à lui, perdu deux de ses jeunes collaborateurs dans une agression similaire près de Toumodi, au sud de Yamoussoukro.
Yamoussoukro scindée en deux
La capitale aussi a connu des troubles importants. Bloquée à ses entrées nord et sud durant quelques jours, Yamoussoukro revit doucement mais reste méconnaissable. Restaurants et véhicules brûlés ou saccagés, boulevards jonchés de restes de barrages, rues inanimées le soir à l’exception des patrouilles de police, la ville réputée calme voire endormie a brusquement été tirée de son profond sommeil.
« Nous ne laisserons pas passer Ouattara dans ces conditions, assure Firmin Kouassi qui dit avoir manifesté avec les bloqueurs. Mais nous, les Baoulé, je vous l’assure, nous préférons le dialogue à la violence. »
Pourtant, deux jours avant l’élection du 31 octobre, les cars faisant la campagne d’Alassane Ouattara circulaient en ville, la sono crachait des messages à sa gloire et les mains étaient tendues vers les tee-shirts à l’effigie du président. Le chef de l’Etat a remporté l’élection avec un score de 94,27 %, alors que l’opposition a boycotté activement le vote.
Yamoussoukro s’est scindée en deux : pro-pouvoir d’un côté où l’on a voté tant que possible, pro-opposition de l’autre où l’on s’est insurgé contre cette « candidature inconstitutionnelle » d’Alassane Ouattara à un troisième mandat.
Des actions de guérilla
Le partage politico-communautaire est à l’image d’un pays fracturé. « Ce n’est pas un problème ethnique, il n’y a jamais eu de palabres à ce sujet ici, c’est politique, tente de tempérer un haut cadre de la ville. Ce sont des exécuteurs de basses œuvres qui manipulent depuis chez eux une jeunesse inculte et sans emploi. On mène des enquêtes, on a des noms et des preuves. » Plusieurs chercheurs souhaitant rester anonymes dans cette période incertaine s’inquiètent d’une structuration politique et d’une professionnalisation de la violence.
Du côté du pouvoir, on craint que ces événements se multiplient à l’intérieur du pays et que des actions de guérilla armée s’intensifient, au point de donner l’image d’un pays en totale instabilité. « Yamoussoukro, Tiébissou, Toumodi (où une famille de quatre personnes est décédée le week-end de l’élection présidentielle), ils veulent faire sauter le verrou du pays baoulé », peste un élu local.
A Abidjan, la violence politique est aussi le fait du pouvoir. Dans la commune de Koumassi, des riverains affirment que, dans la soirée après la fermeture des bureaux de vote, des jeunes hommes armés de machettes sont apparus dans le quartier escortés par un véhicule de la police municipale.
Un « acte de sédition »
Si les leaders de l’opposition sont aujourd’hui en résidence surveillée ou en détention après avoir annoncé la formation d’un « Conseil national de transition » amené à se transformer en gouvernement d’union nationale, un « acte de sédition » pour le gouvernement qui a saisi la justice. Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion, a appelé le 4 novembre l’armée à « désobéir aux ordres illégaux » de « l’ex-président » qui, selon lui, est « installé dans le schéma mental de tous les dictateurs tropicaux ». Un appel à peine voilé au coup d’Etat.
« Le seuil de l’inacceptable a été franchi », déclare un ministre. « Il ne peut pas y avoir deux ministères de la défense. Semer le doute sur l’unité de l’armée, c’est la fragiliser », poursuit-il. « Guillaume Soro (qui fut le ministre de la défense d’Alassane Ouattara avant de rompre avec lui) a contacté des gens dans l’armée où il a toujours des relais. Mais ces soldats ont été tracés. Certains n’ont pas suivi, d’autres ont été arrêtés », assure une autre source gouvernementale qui voit derrière les violences dans le centre la main de l’ex-chef rebelle dont il fut pourtant proche.
La communauté internationale prône le dialogue et l’apaisement entre les deux camps tout en appelant au respect de « l’ordre constitutionnel ». Une reconnaissance a minima de la réélection d’Alassane Ouattara après un scrutin qui laisse un pays divisé. L’apaisement pourrait-il passer par Laurent Gbagbo, toujours dans l’attente de quitter Bruxelles pour Abidjan ?
L’ancien président, « résolument dans l’opposition » mais défavorable à la création d’une autorité parallèle, s’est entretenu le 4 novembre au téléphone avec le premier ministre ivoirien Hamed Bakayoko pour l’« inviter à apaiser la situation en favorisant le dialogue plutôt que la répression », a fait savoir son avocate, ajoutant qu’il « s’est réjoui de la très bonne disponibilité du premier ministre ».
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