Côte d’Ivoire : l’opposition se retire du processus électoral et met la pression sur Alassane Ouattara
Empêcher la distribution et le retrait des 7,5 millions de cartes d’électeur, comme du matériel électoral… la tension monte à Abidjan où l’on craint une entrée dans le cercle de la violence avec le boycott des élections par l’opposition.
Publié par Le Monde le 15 octobre 2020 - Mis à jour le 16 octobre 2020
Ouattara’s decision to run for a third term has been met with protests - [Diom Celest/EPA]
Dès son premier jour, la campagne électorale s’enlise. Jeudi 15 octobre, lors d’une conférence de presse conjointe, Henri Konan Bédié (PDCI) et Pascal Affi N’Guessan (FPI), les deux principaux candidats d’opposition à Alassane Ouattara, se sont déclarés « pas du tout concernés par le processus électoral en cours », estimant même que celui-ci était « illégal ».
Le 31 octobre, le pays doit élire son président de la République. L’opposition ne rejette pas seulement la candidature à un troisième mandat du président Alassane Ouattara, jugée « inconstitutionnelle », elle pointe aussi du doigt un Conseil constitutionnel « à la solde du pouvoir », qui a rejeté 40 des 44 candidatures soumises, dont celles de l’ancien président Laurent Gbagbo – qui ne s’est toujours pas exprimé depuis Bruxelles – et de l’ancien premier ministre Guillaume Soro – en exil à Paris. Au PDCI comme au FPI, on demande donc un « report » du scrutin, pour laisser participer à l’élection tous les candidats qui le souhaitent. Mais la demande est restée sans réponse.
Boycott par tous les moyens
S’adressant à leurs militants, l’ancien président Henri Konan Bédié et l’ex-premier ministre Pascal Affi N’Guessan ont appelé à « faire barrage à ce coup d’Etat électoral que le président Ouattara s’apprête à commettre ». Et les ont invités à « mettre en application le mot d’ordre du boycott actif par tous les moyens légaux à leur disposition ».
Au départ, l’initiative lancée sans trop de détails par M. Bédié le 20 septembre était restée jusqu’ici suivie de peu d’effets. Mais ce 15 octobre, quelques instants à peine après la déclaration conjointe des deux opposants, des précisions ont cette fois été apportées aux militants. Un document interne du FPI leur demande désormais « d’empêcher le convoyage et la distribution de tout matériel et affichage électoral ».
Ce message enjoint aussi les partisans des opposants « d’empêcher les meetings de campagne » alors même que de nombreux rassemblements à Abidjan comme ailleurs dans le pays sont prévus par le camp du président Ouattara dans les prochains jours. Enfin, ils ont été invités à « empêcher la distribution et le retrait des cartes d’électeur ». Une annonce loin d’être anodine, puisqu’elle intervient au lendemain du début de la distribution de ces pièces dans les bureaux de vote. Organisée par la Commission électorale indépendante (CEI), dont l’opposition exige la réforme, l’opération concerne 7,5 millions d’Ivoiriens.
« Cette déclaration de l’opposition consacre donc l’échec du dialogue politique entre les deux camps », observe Arsène Bado, analyste politique et auteur du rapport « Des élections incertaines », publié en 2019 au Centre Simon-Skjodt. Ces dernières semaines, l’opposition tergiversait sur sa participation au scrutin. Mais, se refusant jusqu’à ce jour à utiliser le terme de « boycott », elle espérait surtout une inflexion du pouvoir sur les institutions comme sur le calendrier électoral.
Dans les jours qui viennent, des barrages de routes et des manifestations devraient être rapidement organisés, selon des membres de l’opposition. Et, pour beaucoup, l’annonce de ce boycott sonne le début d’une période d’incertitudes dans le pays. Ce jeudi soir, un proche du candidat Henri Konan Bédié se disait même « inquiet par cette épreuve de force qui pourrait mener à des affrontements ».
Calmer le jeu
Alors que d’un côté se préparait ce boycott, des discussions continuaient avec le pouvoir pour tenter de calmer le jeu. Mais en vain. « Ouattara s’entête, il a déjà mis ses pancartes de campagne un peu partout à Abidjan, il est dans une logique de passage en force et la démocratie fout le camp. Mais nous n’allons pas nous laisser faire, et cela mènera sans doute à la violence car les Ivoiriens sont dépassés », observait jeudi le secrétaire national du Front populaire ivoirien (FPI), Arthur Kesse.
Les soutiens des forces d’opposition avaient encore quelques interrogations jeudi soir. « Sera-t-on suivi par les autres leaders politiques de l’opposition ? En a-t-on réellement les moyens ? Quelle sera la suite si on échoue ? », s’interrogeait un proche d’Affi N’Guessan, avant de répondre que finalement, « tout cela, c’est la grande inconnue ».
Le PDCI et le FPI se disent encore prêts à s’installer « à la table des négociations » avec le pouvoir. « En politique, tout est toujours possible. S’il y a une inflexion, on pourrait nous aussi faire un pas vers eux », assure même un proche de M. Bédié.
Mais, pour l’heure, rien ne semble altérer la sérénité du clan Ouattara, sûr de sa victoire au premier tour. On y estime même que, « s’ils n’y vont pas, c’est un forfait de leur part qui ne disqualifie pas l’équipe victorieuse. De toute façon, la CEI a déjà imprimé les bulletins. Leurs scores seront donc comptés. » Une assurance de façade, qui vient ajouter encore un peu de discrédit dans cette élection déjà bien délicate.
© 2020 Groupe Le Monde