Un rapport met en évidence une hausse de 15 % du nombre d’assassinats d’autochtones en 2023, plus nombreux encore que sous la présidence de Jair Bolsonaro.
Bruno Meyerfeld, 25 JUL 2024
Le 10 avril 2024, Anita reçoit une balle dans le bras. Chaque soir, autour de la communauté de Pyelito Kue, des hommes masqués tirent à l’aveugle. Ici, la communauté n’occupe que 100 hectares sur les 41 000 qui lui sont légalement attribués, et fait face à une violence extrême. Iguatemi, Brésil, le 27 mai 2024. Renaud Philippe.
« Un gouvernement inerte et complice » : c’est avec des mots sévères, voire accablants, que le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) a choisi de décrire l’action de Luiz Inacio Lula da Silva. Publié le 22 juillet, le dernier rapport de cette organisation liée à l’Eglise catholique, référence en matière de défense des peuples autochtones, a l’allure d’un réquisitoire. Le pouvoir actuel y est accusé de « négocier avec les génocidaires » des indigènes.
Selon le CIMI, 208 indigènes ont été assassinés au Brésil en 2023, soit une hausse de 15 % par rapport à 2022. Le rapport dénombre sur la même période 1 276 cas de « violences contre le patrimoine » des peuples autochtones, comme l’invasion des terres ou la destruction de propriétés. Mille quarante enfants indigènes sont également morts en 2023 faute de soins ou du fait de malnutrition.
Ces chiffres dépassent les niveaux, déjà alarmants, atteints sous la présidence de Jair Bolsonaro (2019-2023), qui était opposé à toute avancée des droits des indigènes. Dans son rapport fourni, long de 253 pages, le CIMI dénonce d’ailleurs une « situation de continuité des violences et des violations contre les peuples originels » entre Lula et son prédécesseur d’extrême droite.
Le dirigeant de gauche était pourtant attendu avec espoir au Brésil. Revenu aux affaires en janvier 2023, Lula a inauguré un tout nouveau ministère des peuples indigènes et restauré dans leurs budgets et prérogatives les principales institutions de défense des autochtones. Il n’a cessé de s’afficher aux côtés du vieux cacique Raoni Metuktire, 92 ans, présent notamment lors de la visite d’Emmanuel Macron au Brésil, en mars.
Promesses de campagne oubliées
Mais rapidement, la déception s’est installée. « Dénué de majorité au Congrès, Lula s’est vu forcé de gouverner avec des partis du centre et de la droite, favorables à l’agronégoce », déplore Manuela Carneiro da Cunha, anthropologue spécialiste des relations entre l’Etat brésilien et les peuples autochtones. Depuis le début de son mandat, le président de gauche n’a homologué que dix nouvelles terres indigènes, oubliant ses promesses de campagne.
Pire : contre l’avis du Tribunal suprême fédéral, les parlementaires ont adopté, fin 2023, la loi dite du « repère temporel », disposant que l’homologation de nouvelles terres ne sera désormais possible que dans des zones peuplées par les indigènes au moment de l’adoption de la Constitution, en 1988, ignorant ainsi les expulsions et déplacements forcés subis par ces populations. « Une mesure aberrante, absurde et anticonstitutionnelle », tonne Mme Carneiro da Cunha.
Acculé, Lula ne s’est que mollement opposé au « repère temporel ». L’atermoiement au sommet de l’Etat a eu un impact direct sur le terrain. Sur les 208 assassinats recensés par le CIMI en 2023, 47 ont eu lieu dans le seul l’Etat de Roraima, en Amazonie, où se trouve la grande terre autochtone Yanomami, prise d’assaut par des milliers d’orpailleurs clandestins et en proie à une crise humanitaire sans précédent.
Viols et Assassinats
L’autre point noir concerne l’Etat du Mato Grosso do Sul (centre-ouest), où vivent les Guarani-Kaiowa, deuxième plus grand groupe autochtone du Brésil, avec près de 50 000 personnes, et où 43 indigènes ont été tués en 2023. « Ici, ce ne sont pas de simples crimes, mais de véritables massacres ! », alerte Matias Rempel, coordinateur du CIMI dans la région, qui évoque « au moins 400 assassinats » commis contre des autochtones « en dix ans ».
Engagés dans un processus de reconnaissance de leurs terres, les Guarani-Kaiowa subissent les assauts des riches latifundiaires. « Les fermiers arment des milices armées, cagoulées et montées sur des pick-up, qui envahissent les villages, torturent, violent et assassinent en toute impunité les indigènes, avec le soutien des autorités locales et de la police », témoigne Matias Rempel.
Dans la région, le retour de Lula n’a rien changé. Le président a proposé au mois d’avril de racheter différentes fermes du Mato Grosso do Sul afin d’y installer les Guarani-Kaiowa. Une solution saluée par les fermiers, mais rejetée en bloc par les indigènes, qui réclament le droit au retour sur leurs terres ancestrales. Interrogé par le site d’information G1, Luis Ventura Fernandez, secrétaire exécutif du CIMI, a résumé la situation avec dépit : « A chaque fois que le gouvernement a été confronté à la nécessité de choisir entre les intérêts économiques (…) et les droits légitimes des peuples originels, ces derniers ont été sacrifiés. »
Translation by Genocide Watch:
A report highlights a 15% rise in the number of indigenous murders in 2023, even more than under the presidency of Jair Bolsonaro.
"An inert and complicit government": This is how the Indigenous Missionary Council (CIMI) has chosen to describe the actions of Luiz Inácio Lula da Silva, using harsh and damning terms. In its latest report, published on July 22, this organization linked to the Catholic Church, a key advocate for indigenous rights, delivers a strong indictment of the current government. The report accuses the administration of “negotiating with the perpetrators of genocide” against indigenous peoples.
According to CIMI, 208 indigenous people were murdered in Brazil in 2023, a 15% increase from 2022. During the same period, the report documents 1,276 cases of “violence against the heritage” of indigenous peoples, including land invasions and property destruction. Additionally, 1,040 indigenous children died in 2023 due to lack of care or malnutrition.
These figures surpass the already alarming levels seen under the presidency of Jair Bolsonaro (2019-2023), who was opposed to any advancement in indigenous rights. In its 253-page report, CIMI denounces a “continuation of violence and violations against indigenous peoples” from Lula's administration to his far-right predecessor.
The left-wing leader was eagerly anticipated in Brazil. Upon returning to office in January 2023, Lula established a new Ministry of Indigenous Peoples and reinstated the budgets and powers of key institutions dedicated to defending indigenous rights. He has consistently showcased his support for 92-year-old Raoni Metuktire, who was present during Emmanuel Macron's visit to Brazil in March.
Forgotten Campaign Promises
However, disappointment soon followed. “Lacking a majority in Congress, Lula was forced to govern with parties from the center and the right that favored agribusiness,” laments Manuela Carneiro da Cunha, an anthropologist specializing in the relationship between the Brazilian state and indigenous peoples. Since the start of his mandate, the left-wing president has approved only ten new indigenous lands, falling short of his campaign promises.
Worse still, at the end of 2023, parliamentarians passed the so-called “temporal landmark” law against the advice of the Federal Supreme Court. This law stipulates that new land registrations will only be possible in areas inhabited by indigenous peoples at the time the Constitution was adopted in 1988, disregarding the forced expulsions and displacements these populations have suffered. “An aberrant, absurd, and unconstitutional measure,” says Carneiro da Cunha.
Under pressure, Lula offered only weak opposition to the “temporal landmark” law. This indecision at the highest levels of government has had direct consequences on the ground. Of the 208 murders recorded by CIMI in 2023, 47 occurred in the Amazonian state of Roraima alone, home to the vast Yanomami indigenous land, which has been overrun by thousands of illegal gold miners and is facing an unprecedented humanitarian crisis.
Rape and Murder
Another troubling area is the state of Mato Grosso do Sul in central-western Brazil, home to the Guarani-Kaiowa, the second largest indigenous group in Brazil with a population of nearly 50,000. In 2023, 43 indigenous people were killed in this state. Matias Rempel, CIMI's coordinator in the region, warns of “at least 400 murders” committed against indigenous people over the past ten years.
The Guarani-Kaiowa, who are in the process of having their lands recognized, face attacks from wealthy landowners. “Farmers arm militias, who invade villages in hooded pick-ups, torturing, raping, and murdering indigenous people with impunity, often with the support of local authorities and the police,” Rempel testifies.
Lula's return to power has changed nothing in this region. In April, the president proposed buying various farms in Mato Grosso do Sul to settle the Guarani-Kaiowa. This solution was welcomed by the farmers but outright rejected by the indigenous people, who demand the right to return to their ancestral lands. Luis Ventura Fernandez, executive secretary of CIMI, expressed his frustration in an interview with the G1 news website: “Every time the government has had to choose between economic interests and the legitimate rights of indigenous peoples, the latter have been sacrificed.”
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