Le chef de l’Etat sortant est assuré de remporter le scrutin qui doit se tenir le 11 avril, mais son clan est fissuré par les divisions internes.
Par Cyril Bensimon
Publié par Le Monde le 10 avril 2021
Le président tchadien, Idriss Déby (au centre), salue ses partisans lors d’un meeting à N'Djamena, le 13 mars 2021. RENAUD MASBEYE BOYBEYE / AFP
A quoi sert encore une élection présidentielle au Tchad ? Sans rival, sans compétition ouverte, doté de tous les moyens de l’Etat, y compris la force, qui demeure pour lui une éternelle option, Idriss Déby avance sans risque vers sa réélection. Un sixième mandat qu’il devrait s’offrir par les urnes, trente ans après avoir conquis le pouvoir par les armes.
Vidé de toute substance démocratique, le scrutin prévu dimanche 11 avril est une formalité. Le moindre rassemblement de protestataires est aussitôt maté. Aucun des six candidats qui se présentent contre le chef de l’Etat sortant n’apparaît en mesure de provoquer ne serait-ce qu’un second tour. L’idée n’est même jamais évoquée par les acteurs politiques tchadiens ou par la société civile.
Dans ce contexte, la campagne est, pour le pouvoir en place, une occasion de mesurer et de renforcer les allégeances locales, de réactiver les réseaux de patronage et de promettre de nouveaux projets de développement aux populations. « Le président est indispensable. Personne d’autre que lui ne peut assurer notre sécurité et nous emmener vers un développement certain. S’il voulait se retirer, nous-mêmes, au sein du parti, nous le refuserions car il doit achever l’œuvre qu’il a commencée », proclame sans retenue Jean-Bernard Padaré, le porte-parole du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir.
« Tout est calculé »
Face à la vague jaune et bleu qui s’annonce, les couleurs du MPS, l’opposition est une nouvelle fois restée divisée, tant sur des questions d’individus que sur la nécessité de participer ou non au vote. Après quatre candidatures infructueuses, Saleh Kebzaboh, arrivé en deuxième position en 2016, reconnaît l’impasse actuelle. « Cette élection n’a aucun enjeu. Tout est calculé. Nous avons face à nous un chef rebelle qui n’a aucune culture démocratique. Déby va obtenir ce qu’il veut et, faute de pouvoir connaître la participation réelle à cette mascarade, nous n’aurons aucun chiffre à opposer aux résultats préparés en amont », concède-t-il, de retour de Bongor, dans le sud-ouest du pays, où il est allé expliquer à ses partisans de boycotter le scrutin bien que son visage soit imprimé sur des bulletins de vote.
Saleh Kebzaboh et deux autres personnalités de l’opposition ont retiré leur candidature début mars après la violente tentative d’arrestation d’un autre opposant, Yaya Dillo Djerou, mais la Cour suprême a maintenu leurs effigies au motif que leurs demandes étaient trop tardives.
Qu’elle ait été la raison objective ou un prétexte pour ces abandons, l’arrestation manquée de cet ancien rebelle devenu ministre et conseiller à la présidence avant de rompre une nouvelle fois avec le pouvoir a été un révélateur des fissures internes du régime. Yaya Dillo Djerou est issu de la même communauté zaghawa que le chef de l’Etat. Ses « parents » sont au moins aussi nombreux dans l’armée que ceux du président, sacré maréchal en août 2020 à l’occasion des célébrations des soixante ans de l’indépendance. « Quand, le 28 février, la direction des actions réservées a forcé la porte de ma concession pour m’arrêter et a tué ma mère de 80 ans, mon fils de 11 ans et blessé sept membres de ma famille, il y a eu des tractations pour permettre ma sortie. Parmi les officiers, certains ont suggéré de m’écarter un peu pour éviter une escalade suicidaire », explique-t-il, depuis un lieu d’exil tenu secret.
Le jeune opposant ne pèse peut-être pas lourd sur l’échiquier politique, mais, comme en convient une source officielle française, « cette affaire touche aux soubassements profonds du pouvoir et met en exergue ses fragilités ». Les autorités de N’Djamena ont eu beau affirmer que trois agents des forces de l’ordre avaient été blessés dans l’opération ou que la mère de l’opposant avait été tuée par un tir venant de l’intérieur de la maison, l’intervention au domicile de M. Dillo Djerou a suscité, selon plusieurs sources, de vives tensions dans l’appareil militaire. Des officiers à la loyauté suspecte ont été écartés.
Bienveillance internationale
« Idriss Déby sait que son principal défi est la contestation au sein de son propre clan. Yaya Dillo Djerou est un cousin de Déby et des frères Erdimi [des parents du président qui, en 2008, faisaient partie des chefs rebelles ayant menacé de le renverser]. Ils ont les mêmes réseaux dans la communauté zaghawa et donc dans l’armée, rappelle le chercheur Jérôme Tubiana. Après l’échec des offensives rebelles, ils ont compris la nécessité de s’allier politiquement avec d’autres communautés du pays, de jouer sur les mécontentements dans l’armée et d’appeler au soulèvement populaire. »
Pour ce faire, les détracteurs du régime semblent avoir trouvé la cible idéale en la personne d’Hinda Déby. L’emprise de la première dame, également secrétaire particulière du président, et de ses proches sur les affaires de l’Etat est devenue un objet de polémiques constantes au Tchad. Yaya Dillo Djerou a échappé à une arrestation alors qu’il est poursuivi pour « diffamation » et « injures publiques » pour avoir dénoncé dans une vidéo un « conflit d’intérêts » après la signature d’une convention entre la Fondation Grand Cœur, de Mme Déby, et le gouvernement dans la gestion de la pandémie de Covid-19. « Cette fondation est une société-écran qui lui permet de racler tous les fonds de l’Etat », accuse l’opposant, avec l’évidente volonté d’attiser la colère au sein du clan zaghawa, dont elle ne fait pas partie, qui voit une partie de ses prébendes rognées.
Jamais à l’abri d’une révolution de palais, Idriss Déby sait cependant qu’il peut compter sur une bienveillance internationale, en particulier de la France. En lançant, en 2013, ses soldats dans la guerre contre les djihadistes au Mali, le président tchadien a réalisé un formidable coup géopolitique. Sa diplomatie militaire au Sahel est devenue sa meilleure protection, comme en a attesté le bombardement, en février 2019, d’une colonne rebelle par l’aviation française. Et si certains soldats tchadiens sont accusés ces derniers jours de viols au Niger, y compris sur des mineures, leur chef ne se privera pas de rétorquer que quatre autres de ses soldats sont tombés vendredi 2 avril au Mali sous les couleurs des Nations unies.
Pour son premier meeting de campagne à N’Djamena, Idriss Déby a finalement résumé en deux mots son message à tous ceux qui travaillent à sa chute ou lui demandent des comptes : « Damboula hanakou ! » Une insulte dont la version la plus édulcorée serait : « Qu’ils aillent se faire voir ! »
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